Aujourd’hui, elle se dit "survivante, comme [sa] mère". Agée de 55 ans, Isabelle Oberlaender a grandi jusqu’à sa majorité dans un climat de violences. Sa mère, ses deux frères aînés, "tout le monde prenait des coups à la maison". À l’époque, la famille habite à Agen (Lot-et-Garonne).
"Mon père avait instauré un climat de violence, et à ce stade ce n’est plus un simple conflit, c’est de la violence gratuite : psychologique, verbale, physique et économique", raconte celle qui habite Laval (Mayenne) depuis 1998 avec son mari.
"Une position de protection"
Dès le plus jeune âge, Isabelle subit elle aussi la violence de son père : "Quand vous prenez des coups, que vous êtes torturée physiquement et moralement, et que ça ne s’arrête jamais, vous êtes dans une position systématique de protection.
À l’âge de 17 ans et demi, quand son père fait irruption dans son lycée armé d’un fusil de chasse, la proviseure de l’établissement comprend rapidement.
"Je n’en avais jamais parlé, poursuit Isabelle. Elle m’a emmenée voir le juge pour enfants, mais je ne me rendais compte de rien. Dans un climat de violence, un gros brouillard s’installe autour de vous, il est juste question de se protéger." Son père, déchu de ses droits jusqu’aux 18 ans de sa fille, "s’est tenu à carreau mais a continué d’être violent avec [sa] maman".
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"Je lui dois la vie"
Cette même proviseure, "celle à qui je dois la vie", déclare-t-elle émue, organise le départ d’Isabelle du foyer familial avec l’un de ses frères installé à Paris. "Elle m’a remis une enveloppe avec 3 500 francs de bourses et m’a informée que mon frère viendrait me chercher dans la nuit." Ce soir-là, Isabelle n’a pas "voulu partir comme ça".
De lourdes valises
Isabelle arrive donc à Paris "la peur au ventre, car laissant [sa] mère". Cette maman, "la douceur en personne, qui nous couvrait d’amour, qui a permis que nous, les enfants, trouvions l’équilibre dans notre construction", Isabelle l’a accueillie chez elle à l’âge de 30 ans.
"La police nous a dit de venir la récupérer car elle était en danger. Quand mon mari l’a ramenée, elle était maigre, pieds nus… J’avais du mal à la reconnaître", se rappelle-t-elle. Durant 27 ans, jusqu’à son départ en Ehpad, "le plus simplement du monde", Isabelle aura pris soin de sa maman.
Témoignages
L’affaire Jacqueline Sauvage a libéré la parole de la Lavalloise. "Ça m’a bouleversée. Ça aurait pu arriver à ma mère ou à moi. Aujourd’hui, rien n’a changé, les mécanismes sont toujours les mêmes. J’ai écrit à la préfecture, qui m’a redirigée vers Femmes solidaires. Je ne comprenais pas pourquoi, à la télé, il n’y avait que des spécialistes invités à discuter des violences conjugales.
Depuis ce jour, elle témoigne à la demande de professionnels sociaux ou d’étudiants destinés à le devenir.
Encore aujourd’hui, elle traîne "de lourdes valises". "Mais au fil de ma vie, j’ai rencontré des personnes bienveillantes qui m’ont aidée à les porter." Elle tient cependant à préciser qu’il est impossible de se construire : "On reste en mode survie. Il faut arrêter de penser qu’émotionnellement on s’en sort."
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Ce n'est pas être père que de tabasser ses enfants
Elle constate également que la place de l’enfant est une préoccupation récente. "Arrêtons de dire qu’ils ont, malgré tout, un père. Non, ce n’est pas être père que de tabasser ses enfants. Petite, j’étais la première à dire à ma mère : viens, on s’en va. Si on dit à une femme que son conjoint est un criminel, croyez bien qu’elle va réfléchir." Isabelle est née, elle, "à 18 ans, quand je suis partie".
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