Ni sa voix, claire et assurée, ni sa posture, debout durant presque deux heures, ni la force de son message pourtant répété presque chaque jour depuis des années, ne trahissent ses 91 ans. Quand elle cesse de parler, un tonnerre d’applaudissements salue Lili Leignel.
Un peu plus tôt, elle entamait un récit qu’elle a tant de fois répété : celui de cette nuit du 27 octobre 1943 où elle, ses parents et ses deux jeunes frères, Robert et André, ont été arrêtés chez eux, à Roubaix, par les feldgendarmes allemands, à 3h du matin. Puis, celui de sa déportation, avec sa mère et ses frères, dans les camps de concentration de Ravensbrück et de Bergen-Belsen. Elle était âgée de 11 ans.
Ce vendredi 27 janvier 2023, le silence règne sur les bancs de l’amphithéâtre du lycée AgriCampus de Laval. Les élèves de l’établissement, ainsi que ceux du collège Alain-Gerbault et du lycée Haute-Follis, n’ont d’yeux et d’oreilles que pour la conférencière.
Elle vient pour la première fois en Mayenne, invitée par le Mémorial des Déportés pour la journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
"Nous étions voués à disparaître"
Elle raconte d’abord l’effroi en assistant aux défilés de ces nazis "bottés et casqués" dans les rues de sa ville. "En tant que juifs, nous étions voués à disparaître."
Puis, cette nuit où sa famille est emmenée sous les cris des Allemands et les yeux "agrandis de terreur" de ses voisins.
Elle relate la séparation d’avec "papa". Ce n’est qu’après la Libération qu’elle apprendra sa mort, dans le camp de Buchenwald. "Mitraillé par les nazis deux ou trois jours avant la libération du camp."
Elle décrit l’interminable trajet dans un wagon à bestiaux, sur lequel il était écrit "contenance : huit chevaux".
Elle dépeint son arrivée dans le premier camp : le rasage de son crâne, le "vêtement de bagnard" et son matricule, qu’elle connaît encore par cœur, en allemand : 25 612.
Dans son récit, elle n’occulte ni la cruauté des SS, ni les humiliations, ni les conditions de vie atroces dans le camp. "Nous crevions littéralement de faim !" Mais toujours avec ce ton enfantin qui a surpris et arraché un sourire aux élèves, lorsqu’elle a commencé à parler.
Raconter cette histoire est devenu son métier. "Je le fais tous les jours, c’est fatigant ! Mais je continuerai jusqu’à mes 100 ans", assure-t-elle.
"Je crois en vous, mes petits messagers"
Dans ces camps où les nazis enfermaient femmes et enfants, Lili Leignel a croisé la route d’Anne Frank, Simone Veil, Geneviève de Gaulle ou encore de la résistante communiste Martha Desrumaux. Mais celle à qui elle semble vouer le plus d’admiration, c’est sa mère.
Elle décrit ses sacrifices, pour offrir à ses trois enfants "une bouchée supplémentaire", ou leur permettre de se laver chaque jour. Pour cela, "elle nous réveillait à 3h du matin, une demi-heure avant les autres".
Elle n’a jamais oublié non plus ce jour du 15 avril 1945. Alors que sa mère gît, prostrée, sur le point d’être vaincue par le typhus, la porte s’ouvre sur des soldats anglais. Lili peut lire l’effroi dans leurs yeux. "Ils ont fait un pas en arrière en nous voyant."
Elle relate enfin son retour, seule avec ses deux frères – "encore dans des wagons à bestiaux !" – et les retrouvailles avec leur mère, à peine soignée.
Au début, elle ne peut pas parler de ce qu’elle a vécu. Sa crainte ? "Que l’on mette en doute ce que je dirais. Mais quand j’ai entendu des discours négationnistes, mon sang n’a fait qu’un tour."
Depuis, elle parcourt la France et la Belgique pour faire passer un message aux jeunes, "trop souvent dénigrés".
Nouveaux sourirs dans le public. Elle entonne ensuite en tchèque, en allemand, en polonais, en néerlandais et en français, des comptines et des chansons que chantaient les enfants de Ravensbrück.
La conférence terminée, les adolescents ne semblent pas pressés de quitter Lili. Ils se pressent sur l’estrade, pour lui dire quelques mots, lui offrir un portrait dessiné sur le vif. "Les jeunes m’ont appris le selfie. C’est un bel exercice", sourit-elle en se prêtant au jeu, apparemment infatigable.
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